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Métamorphose verbale
Préface de Pierre Alferi
Avec des mots tour à tour tranchants et veloutés, une syntaxe acérée mais un phrasé soyeux, Aurélia Declercq nous entraîne dans la petite grotte, la gorge derrière la glotte, où la nature physique abdique ses lois devant celles de la profération et de la projection, de la lecture et de la rature, d’une métamorphose verbale continue et néanmoins brutale. Il vaut la peine de la suivre dans ce détroit de tissu et de chair déchirés. La voix qui nous guide est déjà reconnaissable entre toutes. (Extrait de la préface de Pierre Alferi)
Lecture d'un extrait par l'autrice
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Remise du deuil à moitié je me suis rappelée qu'on était dans une sorte de cave ceci explique cela. Toujours pas d'Elsa dans l'angle de vue, pas de tapis rouges tapissés bientôt cavés. Disant bientôt cavés je trébuche, presque c'est la chute totale dans pigeon tout emplumé, trébuchée là un tchin aux fabuleux clowns qui nous enchantent encore : à Keaton titubant, sa blessure cicatrisée c'est-à-dire à la seconde. Ramassée je vois le visage de Keaton ici, je vois dentelle et autres tissus sur ses cils, enchanté Keaton, bienvenue dans le jabot. J'imagine, Keaton tu as dû tomber dans l'oiseau, tomber bien tomber là, toboggan à ton tour. Dans sa chute, dans son gag pigeon, je vois une broderie lézarde, une crevasse toute cousue, chute un peu fibrée rien de tel qu'un birdy pour les clowns encore d'aujourd'hui.
Yves di Manno dans CATASTROPHES a écrit:"C’est toujours un bonheur de lire un ouvrage peu épais, mais d’une grande densité, qui nous entraîne du premier au dernier mot, et que l’on peut reprendre aussitôt, comme on replace la tête de lecture sur la première plage d’un vinyle après le lockgroove final."
Paul de Brancion dans Radio Fidélité a écrit:Une inconnue, pour clore cet épisode. Aurélia Declercq est née à Bruxelles en 1993, elle est diplômée en psychologie clinique, ayant mené des recherches sur les processus langagiers dits psychotiques, et a entamé plus récemment un nouveau cursus aux Beaux-Arts de Paris. Pour l’instant, elle a trouvé refuge en Géorgie (ex-soviétique – pas celle du deep South et de Ray Charles…) après avoir publié en ce début d’année un étonnant premier livre : Rikiki, aux éditions de l’Attente – dont il faut souligner, au passage, le remarquable travail depuis plus de vingt ans au service de cette subversion joyeuse que nous évoquons aujourd’hui. A bien des égards, Rikiki relève de ce registre perturbateur : c’est un texte à proprement dire insensé, ou plus précisément qui expose l’impossibilité de produire son propre sens dans le langage courant. Nous sommes donc confrontés à une langue hybride, mêlée d’autres dialectes (où l’anglais a peut-être la part trop belle) et à la grammaire décalée, qui s’acharne à capter une étrange mélopée censée remonter du jabot d’un pigeon… Résumé de la sorte, le projet de l’ouvrage paraîtra sans doute improbable : il l’est, d’ailleurs, mais autrement. La vérité, c’est que cette narration parcellaire et presque psalmodiée par instants s’avère très vite envoûtante, enchaînant ses déroutants énoncés comme s’il s’agissait de la langue commune, justement, et non de l’idiome le plus privé qui soit, au double sens du terme. Une simple citation ne saurait rendre compte de l’étrangeté de ce texte et de la fascination qu’il exerce sur son lecteur, en le confrontant constamment à d’étonnants néologismes, des tournures qui semblent de prime abord obscures ou dénuées de signification mais diffusent à la longue une lumière et un sens seconds, d’une évidence que n’auraient jamais su produire le vocabulaire et la syntaxe ordinaires. Tout cela donne un chant dont l’opacité, pour ne pas dire le trouble, ne masquent ni la dimension charnelle ni l’élan amoureux dont il est probablement la métaphore. C’est une belle entrée en matière, quoi qu’il en soit, et l’on attend avec curiosité la suite d’une aventure aussi singulièrement entamée.
Entretien et lecture de l'autrice