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Photopoèmes
Avec le soutien du Centre national du livre
Traversant le flux des images qu’on produit et reçoit en continu aujourd’hui et sur lesquelles nos yeux glissent à vive allure, ce livre cherche à ralentir notre regard, à lui redonner une prise concrète sur le monde via une multitude de photopoèmes. Ces images-récits sonnent comme des débuts, ouvrent sur des possibles, invitent à faire un pas de côté hors de la frénésie pour retrouver un regard sensoriel et critique. Dans ce livre comme trempé dans du révélateur poétique, un contrechamp s’ouvre à même la photogénie de la globalisation.
Lecture d'un extrait par l'auteur
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(p. 29-33)
En plein contre-jour, on voit la fenêtre du ferry-boat est énorme en biais, sur-éclairée de ciel azur, avec la mer emplissent l’image au centre, repoussant le crâne des passagers sur les bords, en ombres chinoises.
SWIPE
Ça a zoomé. On voit mieux l’immense viaduc enjambant l’estuaire pixellisé à l’extrême au loin, en gris-clair, bien flou, avec un camion plus foncé au milieu et la tour en aiguille de seringue par-derrière, élancée.
SWIPE
On voit toute la partie gauche de l’image est complètement voilée avec les deux gratte-ciel au milieu, en contre-plongée, le ciel bleu là, et les branches sur le côté, saturés. C’est une cité radieuse on dirait, avec coulures de violet, de jaune aussi, de bleu délavés mangent tout le cadre verticalement, les nuages. On sent le soleil très fort en sous-jacent.
Fabrice Thumerel dans LIBR-CRITIQUE a écrit:Jérôme Game, quand le mot met l'image en pause
On le feuillette, on examine les rectangles bien nets, centrés sur la page. Disposés en mode portrait ou paysage, ils évoquent des scènes parfois bien identifiées, parfois partielles et énigmatiques. « Évoquent », et non « montrent ». « Album photo » n’est pas un livre d’images, mais un album de textes. La poésie, on le sait, entretient avec l’image des rapports complexes. Ingrédient obligé de la « puissance d’évocation » si recherchée à certaines époques, elle a été, à d’autres, reléguée dans le placard des oripeaux de la « vieillerie poétique ». Jérôme Game, qui avait déjà publié des DVD de « vidéopoèmes » pose un regard neuf sur la question de l’image « dans » le texte…
Adrien Meignan dans ADDICT-CULTURE a écrit:"Au lieu d’être synthétisées pour constituer une vision cohérente, les sensations sont enregistrées au fur et à mesure par une intuition purement empirique : dans notre monde régi par la logique du ressenti, prime la conscience immédiate, un instantanéisme lié à un monde qui vit en accéléré. Le phrasé béhavioriste traduit avec brio au plan phénoménal notre nouveau rapport au monde, immanentiste. C’est en cela que Jérôme Game renouvelle l’épiphanie, un peu à la façon de Michèle Métail dans ses Portraits robots (Les Presses du réel / al dante, 2018), qui, cependant, vise l’archétypal à coups de syntagmes juxtaposés."
Sally Bonn dans ARTPRESS N°482 Nov 2020 a écrit:"Ce qui ressort de cet Album photo est surtout son inventivité. Jérôme Game se saisit d’un sujet pour produire une forme poétique inédite. Il n’y a pas de discours ni de morale. Nous pouvons en tirer les conclusions que nous voulons. Le poète ne donne pas son opinion et nous laisse libre de l’interpréter. Ce que peut produire Album photo est sans doute une envie de diversifier sa façon de percevoir le monde. L’image confrontée au texte prouve qu’il existe plusieurs moyens de produire du sens."
Johan Faerber dans DIACRITIK a écrit:II fait chaud, voire super chaud, et le ciel est bleu, souvent, dans les images feuilletées et pixellisées du dernier livre de Jérôme Game, Album photo. En une multitude de vignettes d'une réalité sans cesse en mouve-ment, l'auteur saisit le bruissement de notre monde d'images. Dans ses mots, on voit des paysages, des scènes urbaines, des individus, do¬dus parfois. On survole des auto¬routes, des deux fois quatre voies, en avion. Ça vire à gauche; contre¬plongée. On traverse des foules et des carrefours, on voyage en train, on regarde par la fenêtre, on scrute des images publicitaires. On voit et on sent aussi. Sa phrase est brève et souple, précise et sensitive, et, si elle reproduit à dessein le glissement ra-pide des images virtuelles sous les doigts (ce «SWIPE » qui ponctue), elle sait aussi s'arrêter et saisir en un bloc de texte mis en page une odeur, une chaleur, une couleur, un lieu. De vagues indications géographiques que l’on débusque à travers quelques signes, quelques dates, mais ce n'est pas ce qui importe. Ce serait plutôt un saisissement qui relève autant du photographique que du cinématogra-phique dans le double jeu de la ca-méra (en héritier de Duras et de Beckett). L’outil qui sert à voir est pré¬gnant: appareil photo, téléphone por¬table, caméra de vidéosurveillance, et permet de pénétrer plus ou moins dans l'image. Qui tient la caméra, le stylo ? L’élision des pronoms person-nels évite le sujet. Et le lecteur ne sait pas toujours si ce qui est regardé est l'image prise ou le geste de la prise, tant les deux tendent à se confondre. Les rnots glissent et s'en-châssent mais chaque cadre est un précipité de réel. L’Album photo de Jérôme Game poursuit ce geste d'écriture singulier qui est le sien, ce-lui d'une langue-image au plus près du monde.
ENTRETIEN :
Indubitablement, Jérôme Game est l’un des poètes parmi les plus importants et les plus novateurs de notre contemporain. Comment penser autrement après avoir lu son puissant autant qu’étonnant Album Photo qui vient de paraître aux éditions de l’Attente ? Véritable plaque photosensible, ce recueil poétique égrène autant qu’il réfléchit aux images de notre temps, de celles prises par le téléphone portable en passant par celles qui envahissent les réseaux sociaux afin de dégager un possible photopoème de nos vies. Autant de pistes de réflexions amorcées par un livre décisif que Diacritik a voulu explorer avec son auteur le temps d’un grand entretien.