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Nous abstraire

par Antoine Dufeu

Éloge politique inclusif

Dans un éloge politique inclusif, non-individualiste et non-capitaliste, l’auteur creuse la question d’une écriture à la première personne du pluriel autour des notions de joie, de luxe et de paix. « Parce que nous sommes des personnes joyeuses et luxueuses, et que la paix est politique et dès lors l’affaire des vivants. » En résistance aux diktats du « je », des chefs et des institutions qui ordonnent et font exécuter, le « nous » revêt toute sa dimension de relation entre les êtres, sans différence de genre, de situation sociale ou économique. Nous sommes des êtres par lesquels le monde existe et peut se distinguer de l’immonde.

 

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Extrait :

Si nous étions en paix nous le saurions. Si nous œuvrions à la paix nous la ferions. Si nous nous préoccupions de la paix nous cesserions d’envisager des gains et des pertes effectifs ou possibles, tangibles ou intangibles lorsqu’il s’agit de poser une ou des égalités. Si nous étions en paix nous serions des pays, une multitude de pays parmi des nations ou des États parce qu’un pays fait la paix et qu’une nation ou qu’un État ne la font pas ; ils la défont plutôt. La paix nous importe. Seule la paix nous importe, maintenant, ici. Nous qui ignorons qui nous sommes et plus encore combien nous sommes – qu’importe que nous soyons mille, dix mille, cent millions, des milliards – n’avons aucune envie de nous battre, de combattre ou de lutter et abandonnons toute idée de milice à quiconque entretient les moyens de la guerre, les moyens d’être en guerre, de ne pas faire la paix, de ne pas faire œuvre de paix.

Critiques :Adrien Meignan dans UN DERNIER LIVRE AVANT LA FIN DU MONDE a écrit:

Nous abstraire d'Antoine Dufeu paru aux Éditions de l'Attente propose une vision philosophique très engagée, sur les notions de commun, d'altérité et de paix. Mais au-delà, il faut voir ce livre comme faisant partie d'une œuvre poétique en construction.

Christophe Fiat dans REVUE COCKPIT a écrit:

Dans son dernier livre, Nous abstraire, Antoine Dufeu fait de l’abstraction une fuite, une échappée ou du moins un moment souverain où la liberté est encore possible : « Nous abstraire des mots d’ordre qui passent pour des évidences » (p 32). Formule anarchique qui relève autant de la poésie que de la philosophie. La poésie quand il convoque l’art de la courtoisie non sans humour : « Dorénavant nous nous vouvoierons » (p 13) et la philosophie quand il ose revisiter à l’arrache, Schopenhauer : « Le monde n’existe pas en soi, ni en toi ni en moi, pas même en nous. Le monde existe par nous ; nous le faisons exister » (p30). C’est que tout est tendu ici et en premier lieu l’écriture dont chaque mot est pesé dans des phrases claires et percutantes qui allient l’énergie de l’aphorisme à la rigueur d’une métrique toujours souple. Il se joue là quelque chose du performatif qui fait apparaître une communauté ou plutôt un « ensemble » dont chaque lectrice et lecteur doit prendre sa part urgemment sur fond de guerre en Ukraine, de catastrophe écologique et d’épidémie mondiale et d’idéologies d’extrême droite saccageant les démocraties. Et à la fin, peut-être que ce livre n’est rien d’autre qu’un manifeste dont beaucoup de jeunes écrivains et écrivaines et artistes feraient bien de s’inspirer plutôt que de faire dans le mélodrame et le militantisme petit-bourgeois. Un manifeste dont nous retiendrons l’affirmation 1. de la paix contre la guerre, 2. de l’érotisme contre les bons sentiments et à la fin 3. de la luxuriance, du luxe contre la richesse. Bien sûr, on y entend l’écho lointain du Georges Bataille de La Part Maudite mais surtout Dufeu nous met en capacité de percevoir les voix à venir d’un autre futur, certainement utopique mais bien réel : « Car toute œuvre laissée au vivant permet le décryptage possible de la pensée qui la sous-tend même inconsciemment » (p 18). Voilà à quoi sert la littérature. Qu’on se le dise.


À propos de l’auteur

(© photo Ciclic)
Antoine Dufeu est né à Laval en 1974 et vit à Paris. Après avoir été contrôleur de gestion dans une multinationale américaine et journaliste dans la presse automobile, Antoine Dufeu est enseignant en écriture et en édition en école d’art et de design. Poète et écrivain, il est notamment l’auteur de Nous (Mix., 2006), Abonder (Nous, 2010), AGO – autoportrait de Tony Chicane (Le Quartanier, 2012), Blancs (Cneai=, 2014), Sic (Al dante, 2015), Sofia-Abeba (MF, 2020).
Il a fondé et dirige la plateforme de recherche et d’édition Lic depuis 2012. Il co-dirige avec Frank Smith la revue de poésie RIP et forme avec Valentina Traïanova le duo Lubovda.

Bibliographie

Nous abstraire, collection « Philox », l'Attente, 2022 • Sofia-Abeba, collection « Inventions », MF, 2020 • Chroniques bretton-woodsiennes, collection « noir », Mix., 2016 • Sic, collection « Le Triangle », Al dante, 2015