Sélectionner une page

Va te faire foutre – aloha – je t’aime

par Juliana Spahr

Poétique documentaire

Ces poèmes interconnectés explorent la politique identitaire d’Hawaï et la place de l’auteur en tant qu’étrangère ; le “va te faire foutre – aloha – je t’aime” hurlé par le chanteur d’un concert de hardcore ; le mot pidgin “da kine” ; les droits coutumiers à la cueillette ; la rivière Palolo ; les similitudes et différences entre chambres d’hôtel et salles de réunion ; les acrobates d’un spectacle de style Las Vegas à Waikiki ; et le pronom “nous” qui traverse tout le livre, tantôt inclusif, tantôt exclusif, à la fois pluriel, fraternel, amoureux et éminemment singulier. Provocatrice et émouvante, finement rendue dans la traduction de Pascal Poyet, la poésie de Juliana Spahr exige lecture et relecture.

Extrait :

C’est ainsi que nous obtenons et
revendiquons.

Ainsi que nous apprenons et que
nous sommes.

J’ai cette pensée.

La pensée de la table publique.

La pensée du lit privé.

Toute cette histoire de jambe posée
sur une épaule et de l’autre jambe
écartée ou enroulée autour de l’autre
personne, c’est l’amour d’essayer qu’il
n’y en ait pas un meilleur que l’autre.

Les deux ont besoin des rigueurs de
l’autre, des pratiques de l’autre.

Mais je suis désorientée.

 

LIRE PLUS

Comment faire réunion dans le discours
investi. Faire éloquence. Faire fleuri
dans les deux. Une treille en fer forgé
dans les deux. Un lieu pour accroché
et suspendu par les cheveux dans les
deux. Un lieu pour clignotant rouge
plastique en guise de cœur dans les deux.
Un lieu pour l’amour de la nature dans
les deux. Un lieu pour un jour gris et
humide dans les deux. Un lieu pour
les graffitis intimes tracés dans la buée
sur le miroir de la salle de bain dans les
deux. La façon dans les deux. Le durable
dans les deux. Ensemble. À la fois
gonflement et contact. À la fois écoute
et transformation. À la fois séparation
et union sur toutes les surfaces planes,
dans notre monde du fait quotidien.

/// (pp. 62-63)

Lire les premières pages

 

 

REGROUPER
Critiques :Guillaume Contré dans Le matricule des anges (juin 2018) a écrit:

La poésie de l'Américaine Juliana Spahr, telle qu'on peut la lire dans ce volume qui, pour être bref, n'en fait pas moins preuve d'une belle densité, se construit dans un entre-deux qui se joue des définitions. À mi-chemin d'une subjectivité insinuée plutôt qu'affirmée (et pourtant centrale) et d'un ton apparemment docu­mentaire, elle construit d'ambitieuses séries de poèmes aux vers courts. Comme dans toute poésie lorgnant vers un idéal minimaliste (en dire le plus possible avec des matériaux très resserrés pour atteindre un état de suggestion maximale), Juliana Spahr se méfie des effets de manche et reste au plus près d'un vocabulaire simple, quotidien ou technique, des mots dépourvus de toute possibilité métaphorique et qui pourtant la font renaitre en creux (et non parfois sans un certain humour mélancolique). " Nous rêvons d'éloquence " , lit-on, et, dans le même poème, " Nous nous réunissons pour employer des mots comme responsabilité éthique ", mais "Nous limitons la possibilité de l'amour de la parole ". Le livre est parcouru par une oscillation entre le "je" et le "nous", et les deux sont aussi inclusifs (en incluant, par exemple, la subjectivité) qu 'exclusifs : "Je fais partie d'un nous et puis ne fais pas partie d'un nous". Car "Le problème est comment faire nous maintenant tous ensemble". Le long poème "Permutation" met ainsi en parallèle la difficulté de la création d'un discours commun et celle de l'amour et de la sexualité; des gens réunis autour d'une table pour parler, ou dans un lit pour s'accoupler. Ailleurs, elle introduit le mot pidgin "da kine" pour évoquer la question de l'identité à Hawaï. "Dans ce qu'on appelle culture/nous sommes tous doigts et/orteils. Tous jambes et bras". Spahr imagine la construction culturelle sous la forme d'une pyramide humaine élaborée par trois personnages: "Dans ce maintient, nous essayons la/ culture pour voir si elle est utile", car "C'est l 'équilibre qui construit/les pyramides". Une pyramide souvent émouvante, pleine de " Cette folie de l'amour et folie de la pensée ".


À propos de l’auteur

Juliana Spahr, née en 1966 dans l’Ohio, obtient son doctorat en anglais de l’Université d’État de New York à Buffalo. Elle enseigne à l’université publique d’Honolulu, à Hawaï, de 1997 à 2003, et publie la revue indépendante CHAIN avec Jena Osman de 1993 à 2005. Depuis 2003, elle enseigne la poésie au Mills College d’Oakland, en Californie. Elle cultive des fruits, des légumes et des plantes indigènes chez elle à Berkeley, élève son fils né en 2007, écrit des critiques et donne des conférences. Activiste féministe et anticapitaliste, elle participe en 2011 au mouvement Occupy Oakland.

Bibliographie

En français : • Va te faire foutre – aloha – je t'aime, traduit par Pascal Poyet, l'Attente, 2018 • Une armée d'amants, (co-auteur David Buuck) traduit par Philippe Aigrain, publie.net, 2016 • En réponse, traduit par Juliette Valéry, Format Américain, 2000 • L’Incinérateur, traduit collectivement par Vincent Broqua, Emmanuel Hocquard, Abigail Lang, Claude Moureau-Bondy et Juliette Valéry, cipM, coll. « Un bureau sur l’Atlantique », 2010 /// En anglais (USA) : • That Winter the Wolf Came, Commune Editions, 2015 • An Army of Lovers, (coécrit avec David Buuck), City Lights Publishers, 2013 • Well Then There Now, Black Sparrow Press, 2011 • The Transformation, Atelos, 2007 • Things of Each Possible Relation Hashing Against One Another, Palm Press, 2006 • This Connection of Everyone With Lungs, University of California Press, 2005 • Everybody's Autonomy : Connective Reading and Collective Identity, University Alabama Press, 2001 • Fuck You - Aloha - I Love You, Wesleyan, 2001 • Response, Sun and Moon, 1996 /// Éditions • American Women Poets in the 21st Century : Where Lyric Meets Language, (coédité avec Claudia Rankine), Wesleyan, 2002 • Poetry and Pedagogy : The Challenge of the Contemporary, (coédité avec Joan Retallack5), Palgrave Macmillan, 2006 • A Megaphone : Some Enactments, Some Numbers, and Some Essays about the Continued Usefulness of Crotchless-Pants-And-A-Machine-Gun Feminism, Chainlinks, 2011 /// Numéros de la revue Chain co-édités avec Jena Osman • Chain n°12 : Summer 2005, éd. Small Press, 2005 (dernière parution) • Chain n°11: Public Forms, éd. 'A`'A Arts, 2004. • Chain n°10 : translucinacion, éd. 'A`'A Arts, 2003. • Chain n°9 : Dialogue, éd. 'A`'A Arts, 2002. • Chain n°8 : Comics, éd. 'A`'A Arts, 2001. • Chain n°7 : Memoir / Anti-Memoir, éd. 'A`'A Arts, 2000. • Chain n°6 : Letters, éd. 'A`'A Arts, 1999. • Chain n°5 : Different Languages, éd. 'A`'A Arts, 1998. • Chain n°4 : Procedures, éd. 'A`'A Arts, 1997. • Chain n°3 : Part 2. Special Topic: Hybrid Genres / Mixed Media, éd. Chain, 1996. • Chain n°3 : Volume 1 Hybrid Genres Mixed Media Jena Osman Juliana Spahr, éd. Chain, 1996. • Chain n°2 : Documentary, éd Chain, 1995. • Chain n°1 : Special Topic - Gender and Editing, éd. Chain, 1994. /// Prix et distinctions • 2009 : Lauréate du O. B. Hardison Jr. Poetry Prize • 1995 : National Poetry Series, Response