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Discographie

par Frédéric Forte

Formes poétiques nourries de formes musicales (reparution)

Comment écrire un livre de poésie quand on a passé son temps à écouter de la musique ? En composant sur la page des quatuors à cordes qui se la jouent Bartók ? En prenant les lyrics de Tom Waits pour parole d’évangile ? En racontant les aventures d’une harmonie municipale qui aurait trop lu Queneau et trop entendu Ayler ? En fabriquant des poèmes-accordéons pour les musiciens du Rouergue ? En tirant de pochettes d’album matière à une fantaisiste anthologie de la musique bulgare ? Découvrez tout cela dans ce livre en 5 parties titrées "Sept quatuors à cordes"; "Who are you (3:54)"; "Quatorze pièces faciles pour harmonie municipale"; "a,o,é,on"; "Anthologie de la musique bulgare vol. 2".

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Les poèmes de Discographie ont été écrits entre septembre 1999 et le printemps 2000. Les éditions de l’Attente en ont d’abord publié deux séquences dans leur collection Week-end – « Who are you (3:54) » en juillet 2001 puis « Anthologie de la musique bulgare vol.2 » en janvier 2002 –, avant d’éditer l’ensemble à l’été 2002 en compagnie de mon deuxième livre, Banzuke. Un peu plus de vingt ans après, Discographie reparaît sous une nouvelle couverture de jeune premier. — FF

 

Lecture d'extraits choisis par l'auteur (in "Anthologie de la musique bulgare vol. 2", pp. 107,109-112, 116)

Parution :
Artistes de couverture :
Thématiques :
Extrait :

I (Formes)

Formes prenant l'air pavés
sonnants et trébuchants mains
que l'on tourne nuage froid
écharpes

Formes assises sur un banc
vert chien pissant contre
un réverbère nuage jaune
de fumée

#

Formes aux fenêtres regards
jetés sur les passants ronron
des radiateurs et sur la chaîne
un disque mat

Formes en ruelles contre-
jour découpant coupe-gorge
silhouette galop ou vieillard
assombri

#

II (Pierres)

Le premier lance une pierre
et attend puis lance une autre
pierre et une autre et une
autre pierre

Le deuxième lance une pierre
et attend attend une autre
pierre et renvoie la pierre
à l'envoyeur

#

Le troisième ne lance pas
de pierre ne renvoie pas de
pierre à l'envoyeur qui n'a
pas lancé

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Le quatrième ne lance pas
et attend une pierre d'un
envoyeur qui lancerait la
pierre éventuelle

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Critiques :dans Lettres d'Aquitaine (février-mars 2003):

Un livre de formes, (…) qui emprunte en premier lieu, au modèle physique du quatuor à cordes le positionnement dans l’espace et, à la forme classique, la division en mouvements. Suit la traduction condensée des 90 folk songs qui composent les six derniers albums de Tom Waits, puis vient "Quatorze pièces faciles pour harmonie municipale", qui pourrait être une quatorzine, forme inventée par Raymond Queneau par extension de la sextine. ‘Rapatitata boum boum’. a, o, é, on, 9 poèmes en forme d’accordéon, suivi d’un Anthologie de la musique bulgare, volume 2, onzains de prose. Enfin, Signe de renvoi et Quelques précisions. Frédéric Forte oulipien? Certainement.

Adrien Meignan dans LA VIE SANS PRINCIPE a écrit:

Tout est explicite dans Discographie (car expliqué dans les dernières pages) et c’est un livre réjouissant pas seulement parce qu’il redonne de la vitalité aux pratiques oulipiennes, mais aussi parce qu’il incite son/sa lecteurice à abandonner son dévouement durant la lecture au profit du plaisir qui peut être pris. Traverser un livre n’est pas porter tout le poids de l’auteurice sur les épaules. Iel ne nous surveille pas et nous pouvons nous permettre d’effectuer sciemment des erreurs d’interprétation comme je l’ai fait avec le quatuor à cordes n°5 de Bartók et Forte.

Alain Nicolas dans L'Humanité.fr a écrit:

Séquelle #40

Poésie etc. Musique

De Tom Waits à Bartok en passant par les accordéonistes du Rouergue et les harmonies municipales, comment remettre à sa place la musique, populaire ou savante, en poésie ? Avec Discographie, Frédéric Forte propose une nouvelle approche, malicieuse et inventive.

Discographie
de Frédéric Forte
L’Attente. 128 pages, 11 euros

Sept quatuors à cordes, quatorze pièces pour harmonie municipale, quatre-vingt-dix folk songs de Tom Waits, neuf poèmes en forme d’accordéon (du Rouergue), c’est peut-être ça la musique en poésie. Entendons-nous : si l’on s’accorde sur le lien originel de la musique et de la poésie, si l’on aime souligner la musique des mots, le rythme des vers, la profondeur du chant des poètes, il y a une autre façon de parler musique qu’en lançant comme Musset « Poète prends ton luth ».

La musique en poésie, ce peut être alors ces quatre petits blocs de texte, quatrains répartis sur la page comme les quatre pupitres des musiciens d’un quatuor, du premier violon, à gauche au violoncelle à droite. Comme pour faire l’hypothèse que le sens de l’écriture pourrait aller du plus aigu au
plus grave.

« Formes prenant l’air pavés »

Est-il écrit dans les premières lignes du premier quatrain, ou si l’on veut des premières « mesures » de la « partition du premier violon ». On lira celles des autres « instruments »

« Formes assises sur un banc »
« Formes aux fenêtres regards »
« Formes en ruelles contre-jour »

Frédéric Forte installe ainsi une sorte d’harmonie entre les blocs de texte, où l’unisson se met à diverger au fur et à mesure que le thème se développe, sans cependant que les différentes lignes se perdent de vue. Le mode de dialogue interne à la page peut varier, comme dans le mouvement « Étapes » du premier quatuor qui expose plusieurs moments d’une course cycliste, ou « Garage », qui renvoie à différents états d’un lieu partagé entre ordre et désordre. Un jeu à lancer et recevoir, comme dans le premier quatuor, le mouvement « Pierres ».

La lecture de ces « Sept quatuors à cordes » – les six de Bela Bartók plus un, précise l’auteur- montre la variété de sa thématique comme la finesse des jeux de forme et de composition, de typographie et de ponctuation, depuis la variation du même jusqu’à la narration classiquement enchaînée, en passant par l’expression émue de la simple contemplation amoureuse :

« Toi dans ta robe et tes
yeux de charbon moi
partagé entre le regard
et te déshabiller »

Il y a beaucoup à découvrir dans ce livre de quatuors, une fois entré dans le dispositif, qui se laisse pénétrer aisément, et qui laisse au lecteur le plaisir des trouvailles. Il suffit de se prendre au jeu.
« Jeu » : le mot vient naturellement à l’esprit en présence des textes de Frédéric Forte, et s’accorde aussi bien à la musique qu’à son approche de la poésie, jeu sérieux comme il est de règle à l’Oulipo(*) dont il est membre.

On trouvera ainsi dans « Who Are You (3 :54) » une extraction de la substantifique moelle de 90 chansons de Tom Waits appartenant à six albums (de Swordfistrombones à Mule variations pour ceux qui aiment, et pour les autres, qui découvriront et –forcément- aimeront). À raison d’un fragment de vers traduit par chanson, (« grande ville sombre lieu » pour « big dark town » dans « Underground », première chanson du premier album) l’ensemble constitue un portrait sévèrement buriné du chanteur et une bonne réponse à la question « Who are you ? ». Se lit en 3 minutes 54 secondes.

On aimera beaucoup « a, o, é, on », 9 poèmes en forme d’accordéon, dont la forme évoque le « coup de soufflet » de l’instrument, avec un buisson de cinq mots au début et à la fin de chaque poème, comme les doigts de l’instrumentiste, séparés par les quelques mots, avec lesquels ils dialoguent, d’un titre issu de la discothèque des accordéonistes du
Rouergue.

« Ma petite bourrée »
ou
« Le Rossignol »
ou encore
« La bas le long de la rivière »

Comme pour Tom Waits, nous sommes bien dans une discographie.

Plus savantes, les inattendues « Quatorze pièces faciles pour harmonie municipale », composées selon un procédé très oulipien, la « quenine », règle de permutations basée sur les « nombres de Queneau », -ici le 14. L’auteur en donne la clef, heureusement pas indispensable pour savourer la restitution de l’atmosphère des orphéons et des kiosques à musique, le
charme désuet des inaugurations « troisième république » où sous le martellement de la grosse caisse les cuivres s’époumonent en plein vent.

On laissera enfin planer le mystère sur l’étrange « Anthologie de la musique bulgare » qui comme le dit l’auteur n’a « qu’un lointain rapport avec la Bulgarie ».
Mais faut-il qu’il y ait un rapport ?

Alain Nicolas


À propos de l’auteur

Frédéric Forte est né en 1973 à Toulouse et vit à Paris. Il a joué de la basse dans des groupes de rock avant de se tourner vers la poésie à la fin du siècle dernier. Depuis 2005, il est membre de l’Oulipo et il co-dirige actuellement le Master de Création littéraire du Havre. Ses initiales sont aussi celles de «formes fixes» dont il aime explorer les potentialités…

Bibliographie

De la pratique, avec des dessins de David Enon, L'Attente, 2022 • Nous allons perdre deux minutes de lumière, P.O.L, 2021 • Été 18, L'Usage, 2020 • Dire ouf, P.O.L, 2016 • Bristols, les mille univers, 2014 • 33 sonnets plats, L'Attente, 2012 • Re-, NOUS, 2012 • Une collecte, Théâtre Typographique, 2009 • Comment(s), L’Attente, 2006 • Opéras-minute, Théâtre Typographique, 2005, 2017 • N/S (avec Ian Monk), L’Attente, 2004 • Banzuke, L’Attente, 2002 • Discographie, L’Attente, 2002, 2023 /// Traductions • Guy Bennett, Œuvres presque accomplies, L'Attente, 2018 • Guy Bennett, Poèmes évidents, L'Attente, 2015 • Michelle Noteboom, Hors-cage, L'Attente, 2010 • Oskar Pastior, 21 Poèmes-anagrammes (co-traduit avec Bénédicte Vilgrain), Théâtre Typographique, 2008


Virgule

par Samantha Barendson

Couverture d’ouvrage : Virgule
Fiche technique :Prix: 13,00 €
ISBN : 978-2-493426-10-9
Taille : 15,00 x 21,00 cm
Pages : 118

Une vie en suspens

Coma en espagnol signifie également virgule. J’aime cette idée de pause, de court temps d’arrêt, de respiration, avant de passer à autre chose. Ton coma ne sera pas trop long, le temps d’un soupir, tu traversais la rue virgule, tu te réveilles et souris point. Tu diras Où suis-je ? et je répondrai Tu as traversé la rue et tu as atterri dans ce lit. La vie reprendra son cours et nous pourrons rire de cette absurde mésaventure, de cet accident typique du XXIe siècle, nous repenserons à tous ces touristes tombés connement en reculant au bord d’une falaise pour prendre un selfie.

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Parution :
Artistes de couverture :
Thématiques :
Extrait :

Drôle d’époque, nous sommes devenus des hommes modernes augmentés, nos bras se prolongent vers des écrans, nos pouces s’agitent sans cesse pour passer d’une nouvelle importante à une image rigolote, notre cerveau analyse quantité d’images sans filtre, nos yeux voient des corps explosés dans des pays en guerre, des petits chats mignons qui ronronnent, des sexes exposés comme des œuvres d’art, des poèmes cucul, nous ingurgitons sans discernement violence, mauvais goût, beauté, images, vidéos, textes, infos, intox, politique, culture, faits-divers, guerres, opinions, ego-portraits, food-porn, hoax, notre cerveau au bord de l’implosion, nos yeux rougis par les écrans bleus et le bruit inaudible d’une voiture qui approche à toute vitesse lorsque tu poses ton pied droit sur les lignes blanches du passage piéton, trop tard pour freiner, trop tard pour éviter l

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impact, ton corps qui vole pendant quelques secondes dans les airs, ta main qui ne lâche pas le téléphone que l’on retrouvera intact dans ta paume inerte, du sang sur tes tempes, tes vêtements abîmés, marionnette connectée à la 4G. Petit con. Tu n’as pas intérêt à mourir.

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Critiques :Denis Billamboz dans CritiquesLibres a écrit:

Ce livre est un puissant plaidoyer contre le mariage traditionnel qui enferme les protagonistes dans un cage de conventions, de règles, de convenances sociales, de coutumes et d’usages, , …, pour le mariage pour tous, pour la PMA mais aussi pour l’amour sans sexe, l’amitié profonde débarrassée de toute contrainte de sexualité et d’exclusivité.

Eric Pessan dans BLOG a écrit:

Jour après jour, la narratrice se rend à l’hôpital pour parler à Léonard, il est dans le coma, il a été renversé alors qu'il traversait la rue en regardant l'écran de son téléphone. Infirmières et soignants pensent qu'elle est la compagne du patient, elle laisse penser, elle est simplement sa meilleure amie, elle n'a aucun vrai droit de visite. Monologue après monologue elle retrace sa vie, celle de Léonard, son homosexualité, sa rupture récente d'avec Maxime, son compagnon, leurs rituels, leur complicité, les parents, la vie, le quotidien, l'espérance, la tristesse, la colère. "Virgule" (qui se dit coma en espagnol) est tout entier situé dans ces instants entre virgules, hors du monde, dans l'attente d'un point (le réveil ? la mort ?) et Samantha Barendson parvient à écrire un roman sensible et émouvant, terriblement humain, un condensé d'émotions qui va droit au cœur. Ce n'est pas une moindre qualité, je lis si souvent des critiques insistant sur le fait qu'un livre, un texte, est sans pathos, comme si l'émotion était dangereuse, comme si la littérature devait s'empêcher de nous empoigner par les sentiments. "Virgule" nous plonge en plein pathos, en pleine humanité, et c'est tant mieux.

Librairie VIVEMENT DIMANCHE dans https://www.vivementdimanche.com/livre/9782493426109-virgule-barendson-samantha/ a écrit:

C'est si beau. Émouvant et drôle à la fois.

Son meilleur ami est dans le coma. Coma, ça veut dire virgule en espagnol. Virgule, c'est une pause infime, le temps d'une respiration. Sauf que là, on ne sait pas quelle sera la durée ni l'issue de cette pause. Alors elle remplit ce temps incertain en racontant leur amitié, et son présent à elle, avec humour, esprit, pertinence, et poésie. Parce que bien sûr c'est un roman, mais le regard de Samantha Barendson est empreint de poésie. Et ça change tout.

Patricia Bouchet dans Désir de Lire a écrit:

On retrouve dans ces pages, la verve de Samantha Barendson. Autour d’anecdotes retrouvées par la narratrice, Samantha a l’art de tapisser le chagrin avec des situations cocasses parfois drôles et elle conclut toujours ses chapitres par un uppercut touchant de mots, d’émotions, d’interrogations. Elle manie l’équilibre dans sa forme narrative. Doser la vie qui continue malgré tout et les peurs intrinsèques liées à la perte, le chagrin qu’elle repousse à chaque page. Elle maintient la narratrice dans l’espoir et rien n’est « pathos » dans ce récit. Bien au contraire.

Lecteurs dans Babelio a écrit:

J'ai beaucoup aimé ce livre, bien qu'il soit court à lire. Il a un format et une mise en page assez spécial ce qui le rend unique en son genre. Il traite aussi quelques sujets d'actualité. Je le recommande vivement.


À propos de l’auteur

Photo © Rogier Maaskant

Née en 1976 en Espagne, de père italien et de mère argentine, Samantha Barendson grandit au Mexique. Elle vit et travaille actuellement à Lyon. Romancière, auteure de poésie et performeuse, elle aime surtout travailler avec d’autres artistes, poètes, peintres, illustrateurs, photographes ou musiciens. Elle fait partie de plusieurs collectifs : « Le syndicat des poètes qui vont mourir un jour » dont le principal objectif est de promouvoir la poésie pour tous et partout et « Le cercle de la maison close » qui propose des performances alliant poésie, musique et arts plastiques.

Bibliographie

Virgule, collection « Roman/ces », l'Attente, 2023. • 50, avec Estelle Fenzy, La boucherie littéraire, 2022. • Americans don’t walk, Le chat polaire, 2022. • Alto mare, La passe du vent, 2020 (italien/français). • Mon citronnier, Jean-Claude Lattès, 2017. • Machine arrière, La passe du vent, 2017. • Le citronnier, Le pédalo ivre, 2014 (Prix de poésie René Leynaud 2015). • Le poème commun, avec Jean de Breyne, Coll. « Duo », Lieux-Dits, 2012. • Des coquelicots / Amapolas, Pré # carré, 2011 (espagnol/français). • Les délits du corps / Los delitos del cuerpo, Christophe Chomant, 2011 (espagnol/français).


Quand les décors s’écroulent

par Christophe Fiat

Couverture d’ouvrage : Quand les décors s'écroulent
Fiche technique :Prix: 14,50 €
ISBN : 978-2-493426-09-3
Taille : 13,00 x 19,00 cm
Pages : 152

Quatrains bruts-lyriques


266 quatrains, autant d’antennes pour capter des ambiances et toutes sortes de messages émis par les médias et les réseaux sociaux. Que faire quand la vulnérabilité nous met à nu dans un monde semblant voué à devenir un champ de ruines ? En résistance, une réponse s’esquisse : manier l’humour, afin de renvoyer la réalité au dérisoire. Y percevoir des éclats de beauté aussi. La forme brève et frontale du quatrain reflète en décalage cette époque inquiétante, entre épidémie, crise économique et écologique, et guerres. Les rimes désamorcent la terreur pour laisser la place à une forme de jubilation et invitent le lecteur à renouer avec une certaine naïveté lucide.

 

Lecture d'un extrait par l'auteur

Extrait :

NO FUTURE
À n’importe quelle heure
Du jour et de la nuit
Bienvenue dans le no future
Où tout s’autodétruit

INCANDESCENCE
Le ciel est tellement bleu
Qu’on dirait un poster
Ça en fait mal aux yeux
Ça en fait mal aux nerfs

OUT OF CONTROL
Je me fous de mon âme
Je me fous de mon corps
Sur mon compte Instagram
J’ai simulé ma mort

REC
Il faut enregistrer nos vies
Avant qu’elles ne disparaissent toutes
Dans un cambriolage inouï
Ou un reboot

Critiques :Jean-Philippe Cazier dans DIACRITIK a écrit:

Le choix de composer ici des quatrains implique le fait d’imposer une forme stricte au désordre, à l’incendie mondial : la langue n’est pas emportée par ce qui arrive, elle le dit en lui résistant, elle le dit en créant les moyens qui permettent de continuer à dire malgré l’écroulement de tout, y compris du langage.

Fabrice Thumerel dans LIBR-CRITIQUE GRAND ENTRETIEN a écrit:

... Ainsi, j’aimerais qu’on sorte de la lecture de ce livre, abasourdi, sidéré et puis qu’on le relise et qu’on aperçoive cette fois, ce qu’il y a derrière les décors : le drame de nos vies ordinaires et les restes d’une liberté à laquelle nous avons renoncé par peur de la société de contrôle et de surveillance qui nous trace. Hier, j’ai reçu cette pub : « L’intelligence artificielle au service des écrivains ! » m’expliquant que ça me permettrait de comprendre instinctivement les schémas narratifs etc. Ici, c’est le mot « instinctivement » qui m’interroge et qui m’inquiète. Notre raison, notre esprit ne suffisent plus aux bots, il faut aussi qu’ils se servent (au sens de service) aussi de notre instinct c’est-à-dire de notre spontanéité et de notre intuition pour faire de nous des datas.


À propos de l’auteur

Christophe Fiat est né en 1966 à Besançon.
Il a publié une vingtaine de livres dont des romans, des récits et de la poésie et un essai sur l’écriture et la voix, Ritournelle, une antithéorie (Éditions Léo Scheer) et édité un disque vinyle 45 tours, Action ! (CNEAI) et des sérigraphies, Fonds Verts (atelier Tchikebe).
Dramaturge, il écrit des fictions pour France Culture (Stephen King On the radio, Les disques de la mort, Vive la Comtesse !...) et met en scène ses propres textes au théâtre, dans le in du Festival d’Avignon, au T2G, au Nouveau Théâtre de Montreuil et au TNS de Strasbourg.
Performer, il s’accompagne depuis les années 2000 d’une guitare électrique lors de ses lectures publiques. En 2015, il a écrit le livret de la comédie musicale Sound of Music de Yann Duyvendak et en 2020, il a participé à l’album The Unreal Story of Lou Reed de Fred Nevché et French 79.
Enseignant, il a été pendant sept ans professeur d’écriture et de littérature à l’école d’art de Clermont-Ferrand.
Il anime avec Charlotte Rolland la revue de création COCKPIT.

Compte Instagram de l'auteur

Bibliographie

Quand les décors s'écroulent, collection « Ré/velles », l'Attente, 2023. • Développement du sensible (Seuil, 2022) • TEA TIME (Les Petits Matins, 2020) • L’épopée virile de Marcel Pagnol (Naïve, 2015) • La Comtesse (Naïve, 2014) • Cosima Femme électrique (Philippe Rey, 2013) • Retour d’Iwaki (Gallimard, 2011) • Stephen King Forever (Seuil, 2008) • La Reconstitution historique (Al Dante, 2006) • Héroïnes (Al Dante, 2005) • Qui veut la peau de Harry ? (Inventaire / invention, 2004) • Épopée, une aventure de Batman + CD (Al Dante, 2004) • Bienvenus à Sexpol (Léo Scheer 2003) • Ritournelle, une anti-théorie (Léo Scheer 2002) • New York 2001, poésie au galop (Al Dante, 2002) • King Kong est à New York (Derrière La salle de bain, 2001) • Ladies in the Dark (Al Dante, 2001) • Texte au Supplice, essai sur Georges Bataille (Éditions 23, 1998)


Payvagues

par Florence Jou

Dystopie écologique

Voyage en quatre fictions avec pour guides les voix de femmes, sorcières ou chamanes aux pouvoirs cosmo-telluriques. Entre désolation et merveilleux, des individus traversent des expériences inédites sous l’influence de ces voix, dans des zones au climat bouleversé. Iels explorent des relations inédites avec la faune et la flore, les phénomènes géologiques et climatiques, découvrent de nouveaux états organiques et symbiotiques. Ces récits sont portés par une langue minéralisée, soutenue par un corpus de références écologiques, anthropologiques et poétiques.

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Lecture d'un extrait de l'adaptation scénique par l'autrice

Parution :
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Extrait :

p.21
(…) le hop bang est accélération des eaux vives pour propulsion vers terres rares, pas de pause, très peu, la chute ne peut, pas facile, vous crèverez bulles, une, puis une autre, puis vous crèverez encore une bulle, hop bang, quelque fêlures, il vous faudra jouer concentriques, centres et parties déplacés, hop bang, vos bouches en haut, vos bouches en bas, vous creuserez écarts, un puis un autre, hop bang, vous sauterez les ponts qui vous relient, vous êtes bang, puis hop, hop puis bang puis hop bang.

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p.96
On descend sous la surface. Les strates s’empilent les unes sur les autres. On s’enfonce dans l’épaisseur des Payvagues, de ces zones ruinées, perturbées, espaces soi-disant fantômes qu’aucun Lidar CE370, radar HF surfaces-océans, scanner de tomodensitométrie, hydrophone ne peut repérer. Leurs situations échappent à tout instrument scientifique même les plus performants.

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Critiques :Emmauelle Jawad dans DIACRITIK a écrit:

Entretien autour du livre et du concert-performance

Eric Pessan dans Note de lecture a écrit:

Au risque de ne rien comprendre, il faut accepter de lâcher prise lorsque l’on lit l’impressionnant « Payvagues » de Florence Jou qui vient de paraître aux éditions de l'Attente. La langue, sensitive et musicale, charrie en permanence de mots issus de la botanique, de la géologie, de l’anthropologie, des mots forgés parfois de toutes pièces ou adoptés d’autres langues lorsqu’un terme manque. Il s’agit ici d’évoquer les luttes entreprises pour contrecarrer la catastrophe annoncée. Des individus entrainés se lancent dans des opérations complexes, la narration alterne les points de vue, la lutte passe par la langue, mais aussi par l’invention de nouvelles relations avec la nature (la faune, la flore, les paysages), des relations mimétiques, symbiotiques : l’humain se décentre pour s’approcher au mieux du non-humain, chacun cherche le minéral, le végétal, l’animal, le liquide, le vent, etc…, en lui, chacun éprouve le paysage dans et par son corps, sa gestuelle, sa pensée. « Payvagues » pourrait se lire comme un roman de science-fiction ou l’invention d’une nouvelle façon d’être permettrait de sauver ce qui peut l’être d’un monde en déliquescence. « Payvagues » est surtout un livre hors-genre, un de ces ouvrages qui prennent le risque de dérouter par une écriture radicale, sauvage, polyphonique, libre et terriblement mélodique.

Alain Nicolas dans L'Humanité 9 mars 2023 a écrit:

Quatre femmes pour régénérer le vivant
RÉCITS : Quatre espaces désolés ou menacés, quatre détentrices de pouvoirs étranges qui se lèvent pour combattre et habiter le monde autrement, c'est le Payvagues poétique où voyage Florence Jou.
Hommes, femmes et enfants, ils marchent dans une zone indéfinissable où s'accumulent impuretés, « éjecta visqueux, matières fines consistance molle, sableuse et vitreuse qui s'é1èvent sous l'effet de la pression jusqu'à se coller au ciel ». Du noir se relâche, gaz qui se condense, s'agglomère. La lumière s'affaiblit. Toute leur énergie est absorbée par la marche « monocorde » et l'effort de répéter en chœur une « litanie à peine audible » : « Et la chose traverse, arrache, détache et met en déroute. » Nous sommes dans l'un des quatre récits qui composent le Payvagues que décrit Florence Jou.
Le deuxième récit, Odor under control, se déroule sur une dalle qui devait être une protection et qui se fissure sous la menace d'une catastrophe, « les pulsations souterraines d'une altérité qui ne veut plus être contenue, une marée, une crue, un déferlement ». Et aussi un cordon littoral et une lagune où naviguent deux « agriculteurs littoralistes », cueilleurs conservant « ce qui existe de marges », loin des villes. Et encore une plage où l'on peut lire sur un écriteau « via the moon to the beach ». Quatre espaces où la menace, la désolation qui semble au début accablante, est combattue. Par des femmes habitées, exécutant des rituels ou jouant du couteau, inventant des danses et des conjurations, détentrices de pouvoirs qui vont rendre habitable le fascinant Payvagues que nous ouvre l'écriture de Florence Jou.

Hugues Robert dans Librairie Charybde a écrit:

Si je n'avais pas une trentaine de notes de lecture en retard, je vous dirais aussi tout le bien que je pense de ce bel ouvrage, poétique et incisif.

Hugues Robert dans Librairie Charybde 27 a écrit:

Le chant envoûtant d’une éco-poésie du vivant, alternative, exploratoire, futuriste et radicale.

Aliénor Bautru-Valois dans Libération du 11/05/24 a écrit:

Payvagues m’évoque le lointain. Pourtant, sur la quatrième de couverture, l’immobilité ne peut trouver de meilleure représentation que ce van, toutes portes closes, arrêté sur un terrain vague. Un peu rouillé, un peu bancal, ce véhicule ne semble plus d’aucune utilité pour voyager. Cette zone en friche pourrait être le point de départ des pérégrinations de Florence Jou, poétesse et performeuse. Elle élabore des fictions climatiques où se cristallisent, «entre désolation et merveilleux», les enjeux poétiques, politiques et environnementaux de notre époque.

Guidée par des présences chamaniques, une communauté nomade traverse des territoires au climat bouleversé, post-apocalyptique. De cette masse errante, s’extraient un «je» flottant, non attribué, et des prénoms, Valéria, Dom, Ludo et Luz. Par des états de transe ou des actes de résistance, les personnages luttent pour établir de nouvelles relations avec la faune et la flore. Et il y a dès l’ouverture du recueil, la décharge d’une matière presque palpable : «Du noir se libère». L’ensemble annonce les mutations des personnages et des phénomènes, car «le stable n’est pas le commencement» – comme le rappelle le titre du troisième récit. Les quatre récits, introduits par la description fragmentaire d’un paysage, peuvent être lus indépendamment, chacun contenant une expérience de transformation ou de symbiose des corps avec d’autres matérialités – qu’elles soient minérales, végétales ou artificielles. Tout est métamorphose et régénération.
Le rythme des incantations des chamanes

Créative et savante, la langue de Payvagues est une sorte d’anti-taxinomie. Pour qualifier les choses et les états, Florence Jou fabrique des mots composites qu’elle ne classe pas. Elle les accumule. Ses curiosités excèdent alors les cloisons linguistiques et grammaticales, pour souligner le rythme des incantations des chamanes. En refermant le livre, me restent en tête la densité exigeante de sa prose et la particularité de son écriture par sédimentation, déposant là des références visuelles, écologiques et anthropologiques. Si Florence Jou donne à son livre une épaisseur géologique, les récits proposés en filigrane ramènent aux réalités climatiques actuelles. Au-delà de l’imaginaire, Payvagues porte une dimension critique qui dit l’urgence de restaurer des rapports sensibles au vivant.

Après Explorizons (Lanskine, 2021), Florence Jou poursuit ses recherches sur les formes hybrides, empruntant à l’écoféminisme et à la science-fiction. Payvagues est de ces traversées qui interrogent les pratiques du paysage et les sonorités. Plus qu’il ne se lit, ce texte s’énonce et s’écoute, comme dans son adaptation scénique partagée par Florence Jou et Valérie Vivancos. C’est un objet protéiforme qui se transmet et encourage le lecteur ou la lectrice à prendre l’espace pour le dire. Il me semble que ce recueil s’éprouve, au sens fort du terme. De ma rencontre avec Florence Jou, lors du festival Atlantide à Nantes – là où la poésie prend d’ordinaire peu de place par rapport aux autres genres littéraires –, je retiens cette phrase comme une (re) quête : «On s’ouvre les corps comme des réservoirs de manifestations et de transformations.»

Johan Faeber dans COLLATERAL a écrit:

Aujourd'hui dans Collateral, la revue, suite de la quinzaine poétique autour des états généraux du poème avec Florence Jou qui offre un extrait de ses très beau "Payvagues" : à découvrir si vous ne connaissez pas encore.


À propos de l’auteur

Florence Jou développe des pistes de recherche et des intérêts de réflexion autour de l’espace et du paysage, la météorologie, l’écologie politique (savoir-faire et organisation collective, relations humains et non-humains), la voix et le corps. Elle est attentive aux écrits et réflexions de Rachel Carson, Philippe Descola, Elsa Dorlin, Silvia Federici, Donna Haraway, Tim Ingold, Ursula K. Le Guin, Eduardo Kohn, Carolyn Merchant, Starhawk,… qui innervent ses textes.

Bibliographie

Payvagues, collection « Alimage », l'Attente, 2023. • Explorizons, LansKine, octobre 2021. • Alvéoles Ouest, LansKine, février 2020 (sélection Prix des Découvreurs). • C’est à trois jours, Derrière la salle de bains, 2018. • Kalces, Publie.net, 2016.


Vigilance

par Benjamin Hollander

Poème "policier"

Un lieutenant de police rencontre un certain nombre de suspects potentiels et de témoins autour de mystérieuses scènes de crime, et tous sont pris dans le tourbillon de l’être et de la mise à nu dans le droit-fil de la pensée du philosophe Emmanuel Levinas. Entre interrogatoire et réflexion politico-philosophique, un rythme syncopé entraîne le lecteur dans une expérience de l’altérité qui atteint jusqu’au langage, questionnant les notions de droit et de raison. Le livre se termine sur un entretien avec John Sakkis, poète et ami de l’auteur, dans lequel ce dernier expose ses motivations et la manière dont il a travaillé pour écrire ce livre.

Titre original : Vigilance, Beyond Baroque Books, sous la direction de Fred Dewey, Los Angeles, États-Unis d’Amérique, 2005.

Ouvrage traduit avec le soutien du Centre national du livre

Une histoire : Une rumeur : A travers le fait de la traduction (PDF à télécharger)
Communication de BH sur la genèse de "Vigilance", prononcée en V.O. lors de la conférence "Review of Two Worlds : French and American Poetry in Translation", (4–6 avril 2003, Doheny Memorial Library, University of Southern California).
"Qu’est-ce qu’un texte original en traduction ? Au vu de l’histoire que je m’apprête à raconter, je ne peux qu’interroger : qu’est-ce qu’un texte original s’il n’est pas traduit ? En d’autres termes, pour moi, comment pourrait-il exister autrement que dans l’autre langue – au premier chef ?" (Extrait)

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Extrait :

Lecture d'un extrait par Frank Smith

Lecture du poème original Levinas and the police par l'auteur (en anglais, enregistrement à l'Unitarian Church, San Francisco, 20/09/2001)

(p. 136)

il y
« avait un troisième homme » il a dit. « Il n’a pas donné de preuves.
Je n’ai pas vu son visage. Il n’a pas levé les yeux. Il était plutôt ordinaire. Ça aurait pu être n’importe qui » il a dit

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Carol
« c’était comme une soirée trop arrosée quand on voit trop les choses en amont de leur représentation » il a dit

« c’était trop comme voir la peau d’une tête d’enfant né sans le poids suffisant pour survivre Étant né » / sans doute, Monsieur,
« adossé contre ça »
(Abdellatif l’a dit)

« La vie ignore ou se soucie très peu de ceux qui ont été absents.
Elle recrée les hommes et la matière sans cesse.
Vous devrez réapprendre à marcher »

Lieutenant / un / pas / puis / un / autre

Étant / (sans probation parmi d’autres)

« comme l’otage de quelqu’un qui est ab / sent » Lieutenant

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Critiques :Jean-Philippe Cazier dans DIACRITIK a écrit:

Penser que pour Benjamin Hollander le langage ne peut dire un réel qui serait par ailleurs et par lui-même formé, soudé, clair, reviendrait à simplement reprendre un cliché déjà dit mille fois (ainsi que son fond théologique). Dans l’écriture d’Hollander, il s’agit sans doute d’un point de vue plus radical : c’est le réel qui n’est plus pensé comme un ordre donné et structuré, comme un cosmos que le langage ne pourrait rejoindre ; au contraire, si l’écriture d’Hollander s’effrite et balbutie, devient rumeur, c’est parce que le monde n’est plus un cosmos, que le réel s’est désagrégé, que l’évidence des faits est troublée par un brouillard qui recouvre le monde et nous-mêmes. L’écriture de Benjamin Hollander est le langage de ce monde, face à ce monde qui est le nôtre, celui qui définirait notre époque autant que nos subjectivités sidérées.


À propos de l’auteur

Benjamin Hollander, est né à Haïfa, en Israël, en 1952. Il est décédé à San Francisco en 2016. Ses parents étaient tous deux réfugiés d’Allemagne. Il a immigré à New York en 1958 avec sa famille et en 1978, s’est installé à San Francisco avec son épouse. Il a enseigné l’anglais, l’écriture et la pensée critique principalement au Chabot College, à Hayward, en Californie, revisitant la littérature sur l’Holocauste et étendant ce terme à la guerre contre les musulmans de Bosnie.
(© Photo : Norma Cole)

Bibliographie

/// En traduction françaiseVigilance, traduit par Frank Smith avec Guy Bennett et Françoise Valéry, L’Attente, 2022. • Onome, traduit par Emmanuel Hocquard in Format américain, l’intégrale (1993-2006), L’Attente, 2021. • L'éloquence en question – Le "comment" Reznikoff, traduit par EH et JV, le «Gam  » n°1 in Format Américain - L'intégrale (1993-2006), L’Attente, 2021. • Onome, traduit par Amandine André, Jean-Philippe Cazier, Maël Guesdon, Marie de Quatrebarbes et Frank Smith, in La tête et les cornes n° 7, 2019. • Le livre de qui sont était, traduction collective relue et complétée par Oscarine Bosquet, Un bureau sur l’Atlantique, Creaphis, 1997.

/// En anglaisThe Letters of Carla, the letter b., A Mystery in Poetry, With a Foreword by the Future Guardian of the Letters, and An Afterword by Benjamin Hollander (Chax Press, 2017) • Letters for Olson (editor: Spuyten Duyvil, 2016) • Memoir American (Punctum Books, 2013) • In the House Un-American (Clockroot Books, 2013) • Rituals of Truce and the Other Israeli (Parrhesia Press, 2004) • Vigilance (Beyond Baroque Books, 2004) • Levinas and the Police, Part 1 (Chax Press, 2001) • The Book of Who Are Was (Sun and Moon Press, 1997) • How to Read, too (Leech Books, 1992) • Translating Tradition: Paul Celan in France (ACTS: A Journal of New Writing, 1988)